Guy Goffette
Éloge pour une cuisine de province
Édition Champ Vallon – Collection Recueil 1988
Ce livre paru en 1988 est
édité par Champ Vallon dans la
collection Recueil alors dirigée par
Richard Millet et Jean-Michel Maulpoix. Une longue postface de Jacques Borel
complète et accompagne l’ouvrage.
Cet
ouvrage composé de cinq ensembles principaux renvoie, par la forme du
quadrilatère au chiffre quatre qui ordonne la forme du miroir, celles de la
porte, de la chambre ou de la fenêtre. Quatre, comme le dit l’un des premiers
poèmes est aussi le nombre des murs dressés par les hommes :
« pour mettre l’horizon à demeure et tenir à distance/de son
vertigineux mètre quatre-vingt d’orgueil et d’impuissance/la toise folle des
vents contraires, sachant/que nul n’échappe à son visage véritable…/»
Et
si par cet ouvrage Guy Goffette tente de mettre le monde à distance, ce n’est
pas pour s’en éloigner mais au contraire pour mieux l’approcher, l’apprivoiser,
le définir et pour éclaircir ainsi les traits de son propre visage.
D’abord
dans des miroirs qui ont la faculté de renvoyer votre image, mais plus
précisément celle de la “réfléchir” dans un face à face intérieur et par le jeu
subtil des réflexions multipliées, ; par le biais des fenêtres ensuite,
translucides ou ouvertes sur la vie, ces « échancrures du monde « qui
suscitent dès l’enfance le désir de vivre ; et par les portes enfin
(celles de la cuisine… ? qui s’ouvrent, vous précipitent dans cette vie
justifiant par cela le premier vers du livre qui interroge et contrarie singulièrement
le titre de l’ouvrage.
« Peut-être bien que les hommes
après tout/ne sont pas faits pour vivre dans les maisons/».
Ainsi, on pourrait penser le livre se
refermant en boucle sur lui-même dans un mouvement circulaire qui
défierait le temps.
C’est
une « famine » qui tiraille
le ventre des souvenirs. Ce terreau, cet humus d’où partent tous ces rhizomes,
ces rejets qui prennent la forme de poèmes et composent ce livre. Les ensembles
« la voix des miroirs » et « Des fenêtres d’abois » convoquent
les premiers lieux de l’enfance dans des poèmes qui stigmatisent la fuite
insidieuse et inexorable du temps :
« (Enfants, nous riions aussi des vieux radoteurs/alors que
l’huile baissait déjà dans notre lampe/et qu’au-dehors le poids de la lumière/qui
délivre l’oiseau/relevait d’un cran la barre du jour/qu’il nous faudrait
sauter). »
La
finitude des êtres et des choses :
« La maison respire entre les
heures/frappées sur le cadran nocturne/respire, écoute, aspire à l’éternel
écho/des voix tues qui montent des jardins/tremble et respire, comme la buée au
carreau froid, la vie qui s’évapore/ »
Mais
qui rassemblent aussi dans leurs vers les merveilleuses récoltes de
l’enfance :
« Parce que la table était ouverte/à la page la plus blanche de
l’été/là où convergent toutes ces routes/que tisse le poème/pour l’aveugle
immobile/ ».
La composition de l’ouvrage
Aucune
forme particulière n’ordonne celle des poèmes dont certains me rappellent
l’ouvrage Exister de Jean Follain.
Ils
sont généralement courts et les vers sont irréguliers. Les mots simples,
proviennent du quotidien et s’assemblent pour s’accorder à la justesse d’un
sentiment poétique enclin à toucher le lecteur. Un ordonnancement rassemble ces
différents ensembles. « La voix des
miroirs » et « Des fenêtres
d’abois » paraissent emplies des réminiscences de l’enfance tandis que
« Les portes de la
mer » tout aussi imprégné par ces essences semblent plus
particulièrement consacré aux femmes.
Convoquées
toutes les muses se rassemblent. Issues des figures de la mythologie pour la
plupart certaines qui se joignent proviennent de ligne directe de l’histoire
personnelle. Et non loin, le filigrane de certains poèmes laisse poindre le
triangle fondateur près duquel demeure un Poing D’ombre...
C’est
parfois le silence que Guy Goffette voudrait, non pas déplacer mais renverser
avec ses poèmes. Ces poèmes qui regardent les femmes, autrement qu’avec
mutisme, souvent avec tendresse. Parfois avec les yeux d’un enfant (Émilie
Dickinson, Gehad E) mais également avec ceux empli du désir d’un homme
comme dans Herbertstrasse.
Et
s’il est des jeux de miroirs, des liens entre la création et le désir, cet
ensemble l’illustre en apposant à un poème, un second que je qualifierai de
poème apostille, en décalage sur l’émotion première. L’ensemble foisonne de
réflexions, fausses ou justes, comme celles d’un palais des glaces d’où l’on
cherche l’issue.
Et cette mer dont il est question… Est-ce la mère ? Peut-être est-ce l’amer des regrets et de la peine à moins que ce ne soit ce point fixe et visible qui est un repère sur une côte maritime ? Peut-être est-elle un flot qui submerge ou un soutien sur quoi naviguer la vie entière ? N’est-ce que la vie ou chacun est contraint à voguer vaille que vaille ?
Mais l’ouvrage n’oublie pas les poètes et « La chambre des amis » regroupe des poèmes aux noms de poètes qui ont dû - on le suppose – accompagner Guy Goffette, dans des houles, des tempêtes que parsème le flot continuel des jours.
L’ensemble dédicacé, A Françoise hors les murs, « Cuisine côté cour côté cœur » n’est pas loin d’être le centre de cet ouvrage, non loin de la cuisine…
« Ce corps large ouvert avant l’aube et que la nuit/ne ferme jamais en entier ô cuisine d’enfance/… »
Pour
Guy Goffette cette cuisine est assurément le centre du monde, un port où l’on
accoste après la tempête. Un passage obligé de la vie, pour les vivants et “les vagabonds” qui errent cherchant
repos et pitance.
Elle
s’incarne cette cuisine, ventre, genoux,
yeux enfouis, et
« rassemble
autour de la table comme les seins, la tête, les jambes »
Est-ce
une femme celle qui est aussi mémoire,
« Notre unique bagage »
Et
qui rassemble toujours autour d’elle l’exaltation des voix, des rires, la
tablée autour desquels gravitent les en-allés, les proches et les autres :
les poètes ?